thumb_marbre  Le dicton bien connu de nos anciens pêcheurs catalans :

 

« El millor del peix es l’ull » (Le meilleur du poisson c’est l’œil), avait un double sens :

a)- chez le poisson cuisiné, la substance la plus délicate au goût est celle de l’œil

b) Le plus important pour la survie d’un poisson c’est son acuité visuelle.

 

     Ce deuxième sens, nous l’avons attribué plus particulièrement à un poisson se déplaçant en bancs et venant fréquenter les fonds sablonneux jusqu’à quelques mètres de la bordure des plages. Il s’agit du :  

     Fr. Marbré  - Cat. Marbrat – Lat. Lithognatus mormyrus. (description page 58 du livre),- appartenant à la famille des sparidés.         

    A la fin du printemps 1962, en me rendant au travail au Laboratoire Arago à Banyuls-sur-mer, passant sur la route au dessus de la plage bordant d’une dizaine de mètres  la mer, mon attention fut d’abord attirée par de petits reflets dans l’eau, ce qui stoppa mon élan : j’aperçus alors à moins d’un mètre du rivage une multitude de poissons. Hector, mon collègue de travail, me rejoignit, et après notre étonnement de l’importance du banc de poissons aussi près du rivage, nous reconnaissions les marbrés rassemblés vraisemblablement par l’instinct naturel en période du frai. Alors que nous observions leur comportement peu farouche et l’estimation quantitative du banc, Sébastien, beau-père d’Hector, pêcheur de renom et aussi marin au Laboratoire Arago, nous rejoignit à son tour, et nous proposa aussitôt de préparer le filet maillant approprié (la battude tremaillée). Nous pensions alors satisfaire les scientifiques qui travaillaient à l’époque sur cette espèce, et en garnir l’aquarium public,- d’autant que Sébastien nous assurait, vu le contexte, un résultat extraordinaire.

    Le filet embarqué, Hector et moi aux rames, nous nous rendons sur la plage pour y déposer une extrémité du filet. Je reste seul à ramer alors qu’Hector « cale » le filet, encerclant la totalité du banc. Les poissons, toujours près du rivage, n’ont manifesté aucun mouvement. Le canot entre dans le « bol » (encerclement) et le top de la « battude » est donné. Hector lance plusieurs fois la « partègue » (barre de bois plombée). A partir du rivage, des collègues lancent des pierres. Au premier impact dans l’eau, le banc entier réagit, soulevant le sable fin dans l’enceinte du filet, provoquant une eau grise ; on ne distingue rien d’autre dans la turbulence. La « battude » dure 8 à 10 minutes. Les marbrés se sont sauvés du rivage, aucun d’eux n’a pu prendre le large. Le sable fin se dépose assez rapidement, car il y a très peu de fond. On ne distingue plus aucun poisson en nage, tous doivent être emmaillés.

    Nous décidons après quelques minutes  de relever le filet,  avec une certaine appréhension car Firmin,  un vieux pêcheur qui a assisté à la battude nous dit : il y aura un poisson à chaque maille ». Je range les rames et avec Hector nous relevons le filet : pas un seul Marbré ne s’est pris !  Nous sommes stupéfaits : où sont-ils passés ? Les marbrés, malgré leur affolement, n’ont pas foncé sur le filet ; totalement encerclés, ils n’ont pu s’échapper, toujours présents mais invisibles ! Nous comprenons enfin qu’ils sont sous le sable, mais comment se sont ils comportés pendant la « battude » ?

            Huit jours plus tard, le banc de Marbrés étant  dans la même zone près du rivage,  nous avons voulu mieux comprendre leur comportement. Nous avons refait exactement la même chose, mais avant la « battude », nos deux plongeurs du « Labo », Jean et Gérard, sont entrés dans le banc, ont effarouché les poissons, les ont poursuivis jusqu’au filet et là, à quelques centimètres du maillage, les marbrés en banc  se laissèrent couler jusqu’au fond, où ils se posèrent à plat, frétillant pour se recouvrir de sable fin et chacun laissant apparaître un œil !...

            Nous savions que les Marbrés se prenaient la nuit dans les filets maillants fixes et sans « battude », mais nous ne connaissions pas le comportement apparemment unique de cette espèce de la famille des sparidés.

                                               Jacques CENTELLES

 

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